Transport aérien inter-îles dans les Caraïbes : l’Autorité de la concurrence sanctionne une entente entre les compagnies aériennes Air Antilles et Air Caraïbes
Publié le 9 décembre 2024 | Dernière mise à jour le 16 décembre 2024
L’essentiel
À la suite d’une instruction ouverte à l’initiative du rapporteur général et d’opérations de visite et saisie, l’Autorité de la concurrence sanctionne à hauteur de 14 570 000 euros deux compagnies aériennes actives dans le secteur du transport aérien de passagers inter-îles dans les Caraïbes, ainsi qu’une société de conseil spécialisée dans le secteur aérien, pour s’être entendues sur les prix et sur l’offre (créneaux horaires et fréquences).
Les liaisons aériennes concernées sont celles reliant Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, ainsi que celles entre chacune de ces deux villes et Saint-Martin, Sainte-Lucie et Saint-Domingue.
Des ententes sur les prix des billets ainsi que sur le niveau d’offre
Les sociétés Compagnie Aérienne Inter Régionale Express (CAIRE, opérant sous le nom commercial Air Antilles[1]), Air Caraïbes et Miles Plus (société de conseil active sous le nom d’Aérogestion) ont mis en œuvre, entre 2015 et 2019 quatre ententes ayant pour objectif de permettre à Air Antilles et à Air Caraïbes de procéder à des hausses de tarifs importantes et de réduire l’offre tout en préservant leurs parts de marché respectives.
Les entreprises concernées se sont entendues sur les prix et les conditions tarifaires de leurs billets. Parallèlement, les compagnies se sont coordonnées pour réduire leur offre et se répartir les créneaux horaires.
Qu’en est-il des sanctions ?
14 570 000 euros de sanctions
Air Caraïbes et Miles Plus (Aérogestion) ont sollicité de l’Autorité le bénéfice de la procédure de transaction et leurs sanctions ont respectivement été fixées à 13 000 000 euros et 70 000 euros.
Compte tenu de la capacité contributive d’Air Antilles (CAIRE) et de sa société mère Guyane Aéroinvest, l’Autorité a considéré, conformément à une pratique constante, qu’il n’y avait pas lieu de leur appliquer de sanction pécuniaire. Elle a en revanche prononcé, au titre de la solidarité, une sanction de 1 500 000 euros à l’encontre de leur maison mère K Finance.
Coordination sur les prix
Air Antilles et Air Caraïbes se sont coordonnées sur les prix et sur les conditions tarifaires de leurs billets
L’Autorité a observé qu’entre 2015 et 2019, les entreprises mises en cause ont mis en œuvre trois ententes sur les prix et conditions tarifaires des liaisons aériennes inter-îles au sein des Caraïbes françaises et internationales.
Entre février et juin 2015, puis à nouveau en septembre et décembre 2016, Air Antilles et Air Caraïbes, avec le soutien d’Aérogestion, ont échangé sur leurs intentions tarifaires futures et ont pris des engagements réciproques sur les conditions tarifaires des billets d’avion.
Ensuite, entre avril 2017 et décembre 2019, les entreprises mises en cause ont participé à une troisième entente sur la fixation des prix et des conditions tarifaires. L’Autorité souligne que ces échanges sur les prix ont conduit, à partir de la saison hiver 2017/18, à la mise en place de grilles tarifaires communes entrainant une augmentation très importante des prix. Ces pratiques s’inscrivaient dans le cadre d’un « accord de non-agression » dont le volet tarifaire interdisait à chacune des deux compagnies d’être moins disante. Cet accord leur a permis de pérenniser le niveau des prix et les nouvelles conditions applicables aux tarifs atteints fin décembre 2017, et ce au moins jusqu’au 31 décembre 2019.
Air Antilles et Air Caraïbes ont mis en place un accord de baisse d’offre et de partage des créneaux horaire
Les échanges sur les prix et les conditions tarifaires se sont accompagnés, entre juin 2017 et octobre 2019, d’un accord de baisse d’offre et de partage des créneaux horaires.
Ainsi, les compagnies aériennes ont échangé et se sont réunies dès le mois de juin 2017 afin d’élaborer un programme commun de vol permettant de baisser l’offre et de se répartir les capacités. Ces échanges ont abouti à un accord portant sur un programme de vol mis en place à partir de novembre 2017 matérialisant une baisse d’offre en nombre de sièges offerts de plus de 10 % et une répartition des créneaux horaires les plus rémunérateurs afin d’éviter une concurrence frontale entre elles et d’augmenter le prix moyen des billets vendus. Grâce à l’ « accord de non-agression », qu’elles ont noué, selon les termes mêmes d’un responsable d’Air Antilles, les deux compagnies ont respecté leur part d’offre sur chaque liaison concernée au moins jusqu’en octobre 2019.
Des pratiques graves de la part de deux opérateurs en situation de duopole sur un territoire insulaire avec une clientèle captive soumise par ailleurs au phénomène de la vie chère
Les pratiques anticoncurrentielles mises en place par Air Antilles et Air Caraïbes sont particulièrement graves, dans la mesure où :
• les liaisons aériennes représentent un mode de déplacement essentiel dans cette région et où elles étaient les seules à les opérer à l’époque des faits ;
• les entreprises en cause avaient une parfaite connaissance du caractère infractionnel de leur comportement ainsi qu’une parfaite conscience de l’absence de concurrent sérieux susceptible d’entraver leur plan commun, au regard de leur position de duopole sur les marchés en cause ;
• le degré de sophistication dans la dissimulation des échanges était élevé, en raison notamment de l’utilisation d’une adresse électronique sous forme de pseudonyme et de noms de code[2], ainsi qu’en raison du recours à deux intermédiaires (Miles Plus et un salarié d’Air Antilles, dont la compagnie affirmait pourtant qu’il y avait cessé toute fonction, qui continuait à travailler discrètement pour elle depuis la métropole).
Par ailleurs, les pratiques sanctionnées ont eu des répercussions significatives sur les déplacements de la clientèle locale, qui voyage pour des raisons familiales, professionnelles ou de loisir au sein du territoire français, notamment entre la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Martin, mais également vers d’autres destinations de la zone caribéenne. Les habitants de ces territoires, confrontés à un coût de la vie nettement plus élevé qu’en métropole, ne disposent d’aucune alternative réellement viable à l’avion, tant en termes de durée de transport que d’options disponibles. Cette situation a placé ces populations dans une position de clientèle captive.
Par ailleurs, la baisse du nombre de fréquences et l’augmentation des prix a également affecté l’attractivité touristique de l’ensemble des territoires concernés mais aussi leur attractivité économique dans la mesure où les ententes mises en œuvre ont contribué à raréfier l’offre et augmenter les prix également pour les passagers en voyage d’affaires.
L’Autorité a relevé de surcroît que les mises en causes se sont notamment entendues sur les tarifs à proposer lors de la survenue de l’Ouragan Irma en septembre 2017, impactant une clientèle captive de réfugiés qui faisait face à une urgence humanitaire, c’est-à-dire qui ne pouvait ni différer ni renoncer au voyage et qui ne disposait pas d’alternative de transport.
L’Autorité de la concurrence prononce une amende de 14 570 000 euros
Compte tenu du lien des entreprises auteures des pratiques avec leurs sociétés mères, l’Autorité a décidé de sanctionner solidairement, d’une part, les sociétés CAIRE, Guyane Aéroinvest et K Finance, et, d’autre part, les sociétés Air Caraïbes, Groupe Dubreuil Aéro et Groupe Dubreuil. L’Autorité sanctionne également la société Miles Plus.
Eu égard à la capacité contributive nulle à la fois de la société CAIRE, qui fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, et de celle de sa société mère Guyane Aéroinvest, l’Autorité a considéré, conformément à sa pratique constante, qu’il n’y avait pas lieu de leur appliquer de sanction pécuniaire mais qu’il convenait en revanche d’infliger la sanction à leur société mère, K Finance, au titre du principe de responsabilité solidaire.